Dans le cadre de notre formation sur l’alimentation saine, responsable et sur un budget, nous avons évoqué les protéines végétales. Celles-ci ne sont pas aussi bien assimilées que les protéines animales à cause des anti-nutriments présents dans les végétaux.
Mais au cours de siècles, la sagesse des traditions culinaires de divers pays a su contourner ces limitations pour optimiser la teneur en nutriments de leurs plats.
Ces anti-nutriments font souvent partie du système de défense de ces végétaux contre leurs prédateurs, incluant insectes et mammifères. Trois anti-nutriments principaux sont l’acide oxalique, les phytates et les lectines.
L’acide oxalique

L’acide oxalique est un anti-nutriment présent en grande quantité dans les épinards, la rhubarbe, les betteraves et bien d’autres végétaux, mais aussi le chocolat et les amandes. Celui-ci peut devenir problématique pour les reins quand il est n’est pas consommé associé à du calcium. Non lié au calcium, il peut passer directement dans le sang. Il a alors le potentiel de déclencher une cascade d’événements, chez les personnes susceptibles:
- dans le sang, combinaison tardive avec du calcium présent pour former du calcium d’oxalate,
- déposition dans les reins sous forme de cristaux d’oxalate,
- déclenchement des fameuses coliques néphrétiques (calculs rénaux = 80% oxalate de calcium).
- et potentiellement déposition dans les extrémités (arthropathie oxalique).
C’est ainsi que beaucoup de plats traditionnels avec oxalates sont agrémentés de produits laitiers pour neutraliser les oxalates immédiatement dans le bol intestinal. La molécule créée est alors trop grosse pour passer dans le sang. Voici une application culinaire de ce principe dans divers pays :
| 🌍 Origine | 🥘 Plat | 🥬 Légume riche en oxalates | 🧀 Produit laitier associé |
|---|---|---|---|
| 🇮🇳 Inde | Palak Paneer | Épinards | Paneer (fromage frais) |
| 🇮🇳 Inde | Saag + Lassi | Feuilles de moutarde / épinards | Lassi (yaourt dilué) |
🇬🇷 Grèce | Spanakopita | Épinards | Feta |
| 🇫🇷 France | Gratin d’épinards à la béchamel | Épinards | Lait, beurre, fromage râpé |
| 🇮🇷 / 🇹🇷 Iran/Turquie | Borani-e Esfenaj / Ispanaklı yoğurt | Épinards | Yaourt nature |
| 🇪🇬 Égypte | Molokhia + riz au lait / yaourt (variante) | Molokhia (jute) | Yaourt ou lait (en accompagnement) |
| 🇮🇹 Italie | Pâtes aux blettes + ricotta | Bette à carde | Ricotta |
🌍 Maghreb | Tajines verts avec sauce au lait caillé (rares) | Épinards, blettes | Leben / Lait caillé |
Le trempage et la cuisson sont aussi deux autres moyens de neutraliser partiellement les oxalates (seulement pour les oxalates solubles).
Une tradition récente n’a pas encore intégré ce problème, c’est celle des smoothies verts. Ceux-ci tels qu’on les connaît aujourd’hui ont émergé dans les années 1990-2000 aux USA, popularisés par le mouvement santé, raw food, et les tendances « clean eating ». Les chaînes de bars à jus et smoothies ont ensuite contribué à démocratiser cette boisson, en la rendant accessible.
Mais cette nouvelle boisson des pays occidentaux est-elle systématiquement bonne pour la santé?
🥬ÉVITEZ les smoothies verts au jus d’épinard cru:
Leur smoothie peut saturer les tissus d’acide oxalique et déclencher des néphropathies, comme l’illustrent ces deux cas médicaux répertoriés sur PubMed et Cureus. Les épinards peuvent être remplacés par d’autres légumes verts non surchargés d’acide oxalique, par exemple chou frisé, laitue, cresson, bok choy, chou vert
Les phytates

L’acide phytique est un antioxydant présent naturellement dans l’enveloppe des graines des céréales, des légumineuses et des oléagineux. Il stocke du phosphore et différents minéraux (calcium, fer et zinc notamment), en prévision de la la germination où ceux-ci seront libérés grâce à des enzymes appelées phytases.
Dans les intestins, l’acide phytique peut former des complexes insolubles notamment avec le zinc, le calcium, le magnésium, le fer et le cuivre. Du fait de l’absence de phytase, une partie des nutriments n’est pas absorbée. Les phytates diminuent également l’activité des enzymes digestives impliquées dans la dégradation des protéines (pepsine et trypsine) et de l’amidon (amylase).
Les phytates ont aussi des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires bénéfiques dans la prévention et le traitement de plusieurs maladies et cancers.
Pour éviter d’ingérer trop d’acide phytique, on peut décortiquer les graines (et par exemple manger du pain blanc) mais cette méthode élimine aussi de précieux nutriments et fibres. Heureusement, plusieurs méthodes traditionnelles permettent de neutraliser partiellement l’acide phytique: trempage, fermentation, germination, cuisson et torréfaction. Par exemple, le pain complet de nos ancêtres était bien plus digeste que le pain industriel des supermarchés et des chaînes fast-food de boulangerie :
🥖 Fermentation traditionnelle du pain au levain VERSUS fermentation industrielle :
Lors d’une fermentation au levain (plusieurs heures à température ambiante ou basse), les enzymes phytases (présentes naturellement dans la farine) ont le temps de décomposer les phytates. Par contre dans le pain industriel, la fermentation est souvent très rapide (1 à 2 heures), voire accélérée avec des additifs. Celle-ci dégrade peu ou pas les phytates, et crée un pain avec une biodisponibilité réduite des minéraux.
Les Lectines

Elles assurent une défense chimique dissuasive des plantes contre les insectes et animaux. Les aliments qui en contiennent le plus sont les légumineuses, les céréales et les pseudo-céréales (quinoa et sarrasin), les solanacées (tomate, concombre, aubergine, poivron, banane, pommes de terre, etc.) et les cucurbitacées (pastèque, melon, courge, courgette, etc.).
Selon la fréquence et la quantité ingérée, elles peuvent endommager le tube digestif et créer des réactions toxiques, inflammatoires et immunitaires.
Plusieurs méthodes traditionnelles permettent de neutraliser les lectines : l’épluchage, la cuisson, le trempage, la fermentation et la germination.
Par exemple, les peuples autochtones du Mexique, du Guatemala ou encore du Pérou — qui cultivent et consomment les haricots rouges depuis des millénaires — ont toujours :
- fait tremper les haricots toute une nuit avant cuisson,
- jeté l’eau de trempage,
- fait bouillir les haricots à feu vif, souvent pendant des heures,
- utilisé des aromates digestifs pour réduire les effets secondaires.
En effet, le haricot rouge foncé est le pire des légumineuses en termes de lectines toxiques, notamment la phytohémagglutinine (PHA) qu’il contient en grande quantité. Celle-ci est une lectine très active capable de provoquer des intoxications aiguës suite à une cuisson inadéquate (ex. : à 80 °C ou à la vapeur sans ébullition).
🫘 Exemple du chili con carne mal cuit !
En 1 à 3 heures, les lectines des haricots rouges mal préparés peuvent provoquer une intoxication alimentaire aiguë avec nausées, vomissements, douleurs abdominales ou diarrhée violente. En effet, quand les haricots sont juste trempés ou cuits à basse température, la phytohémagglutinine encore présente dans le plat déclenche un empoisonnement aux lectines.
👉 Pour éviter cela, revenir aux techniques ancestrales : faire tremper, jeter l’eau de trempage, puis cuire à gros bouillons au moins 10 minutes, idéalement 45 minutes à 1 heure.